Individus et sociétés : regards scientifiques

Par Roxane de la Sablonnière, Ph.D.
Professeure titulaire du département de psychologie de l'Université de Montréal
Directrice du laboratoire sur les changements sociaux, l'adaptation et le bien-être
Co-fondatrice du Projet InterCom


 

Comprendre l’(auto)compassion

Article de blogue s'inspirant d'une chronique radio diffusée le 19 mai 2022 par le Canal M à l’émission : « Aux Quotidiens ». 

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La psychologie positive et l’(auto)compassion 

La psychologie positive est une façon de concevoir la santé mentale en misant sur les forces de l’individu, plutôt que sur ses difficultés ou ses symptômes.   

Avec la psychologie positive, l’accent est surtout mis sur la prévention des problèmes de santé mentale. La psychologie positive se penche donc sur l’utilisation de différents outils afin de cultiver notre bien-être et maintenir une bonne santé mentale dans notre quotidien.  

Un exemple d’outil fourni par la psychologie positive est l’(auto)compassion, qui consiste à prendre soin de soi comme on prendrait soin d’un.e ami.e.  

Prenons l’exemple d’une personne qui vit un échec (que ce soit à l’école, au travail ou dans ses relations). Faire preuve d’(auto)compassion, c’est réagir à cet échec et aux émotions négatives qui en résultent avec ouverture et gentillesse, plutôt que de se critiquer ou de se rabaisser davantage.

 

Les composantes de l’(auto)compassion 

Pour mieux comprendre comment faire preuve d’(auto)compassion, il est intéressant d’expliquer le concept à partir de ses trois composantes. 

 

La pleine conscience

La première composante est la pleine conscience qui est l’idée de prendre le temps de réfléchir ou d’observer ce qui se passe en nous, dans notre tête, dans notre corps, avec nos émotions, plutôt que de nous distraire ou d’essayer d’oublier ce qui ne va pas. Faire preuve de pleine conscience est de prendre le temps de vivre son émotion, parce que bien qu’elle puisse être très difficile ou négative, elle n’est pas dangereuse. 

Dans l’exemple où une personne vit un échec important, la pleine conscience consiste à prendre le temps d’identifier comment nous nous sentons. Une personne pourrait se dire : « Je me sens déçue, cet échec est vraiment difficile à avaler. » Le défi est alors de porter son attention sur son expérience interne, sans non plus être submergé.e par celle-ci. Pour ce faire, il s’agit de réfléchir à son vécu tel un.e observateur.trice neutre et bienveillant.e, comme on le fait lorsqu’on écoute un.e ami.e nous raconter quelque chose de difficile. On prend le temps de l’écouter, mais en gardant une distance qui nous permet d’y voir plus clair. Par exemple, au lieu de se dire « c’est la fin du monde, ma carrière est finie », cette personne peut se dire : « j’ai l’impression que c’est la fin du monde et que ma carrière est finie ».   

 

L'humanité commune

La deuxième composante est l’humanité commune, définie comme le sentiment d’interconnexion avec les autres, le sentiment d’une expérience partagée. En plus d’utiliser la pleine conscience pour rester connecté à son expérience interne difficile, il s’agit de se rappeler que les difficultés que l’on vit font partie de l’expérience de tous et toutes (Neff, 2003b). Les difficultés peuvent être différentes et elles peuvent aussi varier en intensité, mais l’idée ici est de se rappeler que tous les êtres humains vivent quotidiennement des difficultés. Nous ne sommes pas isolés dans notre souffrance. Ici, une personne vivant un échec peut se rappeler qu’elle n’est pas seule à faire des erreurs, vivre des échecs et à être déçue; c’est un sentiment partagé, une expérience normale de la vie humaine. Elle peut se dire : « je ne suis pas la première à vivre un échec ». 

 

La gentillesse envers soi

Finalement, la troisième composante est la gentillesse envers soi. Au-delà de prendre un moment pour être à l’écoute de sa souffrance, et se rappeler que cette douleur nous rapproche des autres (dans notre quartier, notre ville, notre province), la dernière étape consiste à bien prendre soin de soi. La gentillesse envers soi, c’est se traiter avec chaleur et bienveillance dans les expériences difficiles que l’on vit, de la même façon que l’on appuierait un.e proche. Il s’agit donc d’avoir un discours plus compréhensif envers soi, en se rappelant d’être doux et tendre devant sa souffrance émotionnelle.

Plutôt que de se juger et d’être rigide envers soi (p.ex. : « de toute façon, je mérite ce que je vis, c’est de ma faute »), il s’agit de prendre un moment pour faire quelque chose qui nous fait du bien. Une personne vivant un échec peut faire preuve de gentillesse envers elle-même en identifiant ce dont elle aurait besoin pour se réconforter, en se posant quelques questions : pourrais-je me remémorer mes bons coups pour avoir une vision plus réaliste de la situation ? Appeler un.e ami.e pour en discuter et « ventiler » ? Écouter ma chanson préférée ou visionner une bonne série pour me détendre ? 

Ça peut paraître contre-intuitif d’être si doux envers soi. Pourtant, on le fait avec nos proches, alors pourquoi pas avec soi ? Devant un.e ami.e qui a fait une erreur, on ne commence pas en lui disant « c’est de ta faute, tu mérites cette souffrance, parce que tu aurais dû faire autrement. » Avec un.e ami.e, peu importe le contexte ou la gravité de l’erreur, on agit généralement de la façon suivante :  

  • d’abord, on l’écoute avec intérêt (pleine conscience)   
  • ensuite, on lui explique que l’erreur est humaine (humanité commune)   
  • et finalement, on prend soin de lui ou d’elle, on essaie par exemple de réconforter cette personne (gentillesse envers soi).   

C’est seulement quand ces trois étapes sont réalisées que nous pouvons nous tourner (avec notre ami.e ou nous-même) vers la recherche de solutions constructives et apprendre de la situation. 

 

Est-ce que l’efficacité de cette approche d’(auto)compassion a été évaluée? 

La recherche démontre que l’(auto)compassion comporte plusieurs bienfaits, autant pour le bien-être individuel que le bien-être collectif.

Au niveau individuel, l’(auto)compassion serait un important facteur protecteur pour la santé mentale, pour prévenir le développement de problèmes de santé mentale. Les individus faisant preuve d’(auto)compassion seraient aussi plus motivés et plus performants, par exemple au travail.

De plus, la recherche montre bien qu’il ne s’agit pas, avec l’(auto)compassion, d’abaisser nos attentes et d’oublier toutes nos erreurs en nous disant que nous sommes parfait.e.s. Au contraire, c’est de prendre conscience que personne n’est parfait. Chacun mérite de prendre soin de soi d’abord, pour ensuite s’attaquer au problème de façon plus constructive. Lorsque nous prenons soin de nous-mêmes et que nous cultivons notre bien-être, nous devenons plus disponibles et productif.ve.s.

Au niveau collectif, faire preuve d’(auto)compassion serait associé à plus de compassion pour les autres. Certains peuvent penser que l’(auto)compassion rendrait les individus centrés sur eux-mêmes et sur leurs propres problèmes, mais au contraire, les chercheur.euse.s remarquent plutôt que la compassion envers soi est liée à l’altruisme.

 

Conclusion : les leçons tirées de l’(auto)compassion   

En résumé, l’(auto)compassion consiste à se traiter avec autant d’ouverture et de gentillesse que ce que l’on offrirait à un.e proche qui vit des difficultés. Ne vous en faites pas, faire preuve d’(auto)compassion peut paraître difficile à appliquer et contre-intuitif, compte tenu de notre habitude à être très sévère envers nous-mêmes. Voici un truc à appliquer dans sa vie quotidienne pour apprendre à faire preuve de plus d’(auto)compassion : quand vous vivez quelque chose de désagréable ou d’extrêmement difficile, vous pouvez vous demander : « qu’est-ce que je dirais à ma meilleure amie, si elle se trouvait dans la même situation ? » 

 


 

Références 

Kil, H., Lacourse, E., Mageau, G. A., Pelletier-Dumas, M., Dorfman, A., Stolle, D., Lina, J. M., & de la Sablonnière, R. (2023). Initial risk factors, self-compassion trajectories, and well-being outcomes during the COVID-19 pandemic : A person-centered approach. Frontiers in Psychology, 13,  1016397.   

Neff, K. D. (2003). Self-compassion: An alternative conceptualization of a healthy attitude toward oneself. Self and Identity, 2, 85-101. 

Neff, K. D., & Pommier, E. (2013). The relationship between self-compassion and other-focused concern among college undergraduates, community adults, and practicing meditators. Self and Identity, 12, 160-176.  

Zessin, U., Dickhäuser, O., & Garbade, S. (2015). The relationship between self-compassion and well-being: A meta-analysis. Applied Psychology: Health and Well-Being, 7, 340-364.

 

Pour citer cet article de blogue:

Varin, R., & de la Sablonnière, R. (2024). Individus et sociétés : regards scientifiques. (Article de blogue no. 5). Comprendre l’auto-compassion. Laboratoire sur les changements sociaux, l’adaptation et le bien-être et Projet InterCom.  Université de Montréal. 

 

Édition et mise en page: Florence Jarry

 

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