Article de blogue s'inspirant d'une chronique radio diffusée le 16 juin 2022 par le Canal M à l’émission « Aux Quotidiens »
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Qu’est-ce que la réactance psychologique ?
Les changements sociaux dramatiques impliquent par définition une modification des comportements auxquels les citoyen.ne.s doivent s’adapter et se conformer. Par exemple, pendant la pandémie, les Québécois.e.s ont dû s’adapter aux différentes mesures mises en place par le gouvernement pour empêcher la propagation de la COVID-19. Ces mesures n’ont pas toujours fait l’unanimité au sein de la population. Le resserrement des mesures sanitaires a provoqué un éventail d’émotions dans la population, tel que la colère, la tristesse, ou un sentiment d’impuissance. Ces émotions ont même pu motiver certaines personnes à aller manifester dans les rues ou à cesser de respecter certaines mesures sanitaires. Cette tranche de la population manifestait notamment pour exiger la fin du confinement et s’opposer au port du masque obligatoire ou à la vaccination. Lors de chaque nouvelle vague de pandémie, le mécontentement de la population se faisait de plus en plus sentir. Le plus souvent, cette colère semblait être liée à la perception d’une atteinte à la liberté.
Ce phénomène est étudié dans le domaine de la psychologie sociale et se nomme la réactance psychologique. Bien qu'il soit peu connu du grand public, le concept de réactance psychologique repose sur l'idée que nous désirons la liberté de penser, de ressentir et d’agir. La réactance psychologique est le déclenchement chez un individu d’une motivation à agir, lorsqu’il perçoit que sa liberté est menacée. Une personne peut ainsi être poussée à adopter un comportement contraire à ce qui lui est demandé ou à manifester contre les politiques gouvernementales afin de préserver ou restaurer sa liberté (Brehm, 1989).
Étudier la réactance pendant la pandémie
Dans un projet de recherche intitulé « COVID-19 Canada : la fin du monde tel qu’on le connaît », nous avons sondé plus de 3000 Canadien.ne.s âgé.e.s de 18 ans et plus. Cet échantillon était représentatif de la population canadienne en fonction du genre, de l’âge et de la répartition sur le territoire. Nous avons sondé la population canadienne à 12 reprises durant les deux premières années de la pandémie, en posant des questions portant sur différentes thématiques telles que le respect des mesures sanitaires, le bien-être, ainsi que la cohésion sociale.
Le contexte de la pandémie de la COVID-19 et les mouvements de protestation associés offrent un cadre très pertinent pour étudier la réactance psychologique. Nous tentions de répondre à trois questions :
- Est-ce que toute la population canadienne a le même niveau de réactance ? Et est-ce que ce niveau est stable dans le temps ?
- Quels sont les facteurs psychologiques pouvant expliquer un niveau élevé de réactance psychologique ?
- Le fait de se sentir menacé dans sa liberté a-t-il un impact sur la décision d’adhérer ou non aux mesures sanitaires, incluant la vaccination ?
Les résultats de notre étude
Sur une échelle de 1 à 10, nous avons demandé aux personnes sondées d’évaluer si les différentes mesures mises en place par le gouvernement pour contrer la propagation de la COVID-19 constituaient une menace à leur liberté. Nous leur avons posé cette question à 10 moments différents durant la première année de la pandémie.
Les résultats que nous avons obtenus à l’aide d’analyses statistiques ont fait ressortir trois groupes : 21% de nos participant.e.s avaient un très faible niveau de réactance psychologique, 63% de notre échantillon avait un niveau moyen de réactance psychologique et 15% des participant.e.s avaient un très haut niveau de réactance, c’est-à-dire qu’elles et ils considéraient que les mesures sanitaires menaçaient énormément leur liberté.
Ce qui a été particulier chez ce dernier groupe (réactance élevée), c’est que le niveau de réactance augmentait chaque fois qu’il y avait de nouveaux resserrements de mesures sanitaires. En revanche, chez les groupes ayant des niveaux de réactance faible et moyen, le sentiment de menace à la liberté diminuait avec le temps, même lorsque les mesures sanitaires devenaient plus strictes.
Aussi, nos résultats montrent que les personnes qui ont un haut niveau de réactance psychologique se sentaient moins énergiques, percevaient qu’elles avaient moins le contrôle sur leurs vies et avaient une moins grande confiance envers le gouvernement. De plus, lorsque nous avons comparé le groupe ayant un haut niveau de réactance avec celui ayant une faible réactance, nos résultats montrent que les personnes qui sont les plus réactantes perçoivent les mesures sanitaires comme étant moins claires et moins cohérentes.
Ensuite, nous avons vérifié le lien entre la réactance psychologique et l’adhésion aux mesures sanitaires, c’est-à-dire, si les personnes se désinfectaient les mains, portaient le masque ou faisaient de la distanciation sociale. Nous avons observé que les personnes ayant un haut niveau de réactance adhéraient moins aux mesures sanitaires. Nous avons également pu établir un lien avec l’intention de se faire vacciner.
D’autres études ont obtenu des résultats similaires aux nôtres. À titre d’exemple, une étude portant sur 2000 Canadien.ne.s et Américain.ne.s a démontré que les individus qui s’opposaient au port du masque avaient un plus grand niveau de réactance psychologique que ceux qui le portaient. De plus, les chercheurs ont montré que les personnes rapportant le plus de réactance ont tendance à voir la COVID-19 comme étant une menace exagérée et le port du masque comme étant moins efficace que ce qui est déclaré par les autorités (Taylor & Asmundson, 2021).
Comment faciliter l’implantation de nouvelles mesures en temps de crise ?
Si de nouvelles mesures sanitaires sont instaurées lors d'une prochaine crise, il faudra considérer qu’une partie de la population est moins réceptive. Cela vaut aussi pour les régulations sur les réseaux sociaux, les mesures environnementales comme les taxes sur le carbone, et les vaccinations obligatoires, qui suscitent des résistances. Il est donc important de mieux comprendre ce qui pousse certaines personnes à ne pas adhérer aux règles pour mieux adapter et communiquer ces mesures.
Il serait judicieux de travailler à la mise en place de mesures qui sont claires et cohérentes, car toute mesure contradictoire ou confuse pourrait augmenter la réactance psychologique et faire en sorte que les gens aient moins tendance à adhérer aux mesures. Le gouvernement pourrait également s’employer à accroître la confiance de la population envers ses décisions. Comme mentionné plus tôt, les personnes qui ont une forte réactance psychologique font moins confiance au gouvernement. Il est donc important d’être transparent lors de la mise en place des mesures sanitaires.
Enfin, il est important de ne pas diviser la population, car ceci pourrait renforcer un certain clivage entre celles et ceux qui respectent des mesures plus controversées et celles et ceux qui le font moins. Le fait d’être mis dans une catégorie à part pourrait mener certaines personnes à adopter des positions encore plus radicales, ce qui aurait pour effet d’augmenter leur niveau de réactance psychologique (Sunstein, 1999).
Conclusion : que retenir des études sur la réactance ?
Pour résumer, le sentiment d’une menace à la liberté n’est pas éprouvé par tous.tes dans les mêmes contextes. Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette sensibilité : le manque de confiance envers le gouvernement, un faible sentiment de contrôle sur sa vie ou encore, la perception que les mesures ne sont pas claires et cohérentes. Il est donc important de tenir compte de ces facteurs, afin que tous.tes puissent mieux s’adapter aux grands changements sociaux qui surviendront dans l’avenir.
Il ne faut surtout pas perdre de vue que la grande majorité de la population québécoise a fait énormément d’efforts lors de ces deux années de pandémie et a adhéré aux différentes mesures sanitaires, même si cela pouvait exiger une grande part de flexibilité psychologique. Ceci devrait nous rendre optimistes pour les futures crises sociales.
Références
Abbady, M., French Bourgeois, L., Dorfman, A., Lacourse, É., Lina, J. M., Pelletier-Dumas, M., Stolle, D., Taylor, D. M., & de la Sablonnière, R. (2022). COVID-19 Canada : La fin du monde tel qu’on le connaît? (Rapport de recherche No. 9). Perception de la liberté restreinte au cours de la pandémie de la COVID-19 et son influence sur l’adhésion aux mesures gouvernementales et l’intention de vaccination : des profils individuels et politiques distincts ? Université de Montréal.
Brehm, J. W. (1989). Psychological Reactance: Theory and Applications. ACR North American Advances, NA-16. https://www.acrwebsite.org/volumes/6883/volumes/v16/NA-16/full
de la Sablonnière, R., Dorfman, A., Pelletier-Dumas, M., Lacourse, É., Lina, J. M., Stolle, D., Taylor, D. M., Benoit, Z., Boulanger, A., Caron-Diotte, M., Mérineau, S., & Nadeau, A. (2020). COVID-19 Canada : La fin du monde tel qu’on le connaît ? (Rapport technique N° 1). Présentation de l’enquête COVID-19. Université de Montréal.
Sunstein, C. R. (1999). The Law of Group Polarization (SSRN Scholarly Paper No 199668). Social Science Research Network. https://doi.org/10.2139/ssrn.199668
Taylor, S., & Asmundson, G. J. G. (2021). Negative attitudes about facemasks during the COVID-19 pandemic: The dual importance of perceived ineffectiveness and psychological reactance. PLOS ONE, 16(2), e0246317. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0246317
Citer cet article de blogue:
Abbady, M., French Bourgeois, L., & de la Sablonnière, R. (2024). Individus et sociétés : regards scientifiques. (Article de blogue no. 10). Comprendre la réactance. Laboratoire sur les changements sociaux, l’adaptation et le bien-être et Projet InterCom. Université de Montréal.
Édition et mise en page: Florence Jarry