Article de blogue s’inspirant d’une chronique radio diffusée le 25 mars 2022 par le Canal M à l’émission : “Aux quotidiens”.
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Retour sur le changement social dramatique et le sondage canadien
Le changement social dramatique peut être abordé sous l’angle de la pandémie. Brièvement, un changement social dramatique (CSD) peut englober une multitude d’évènements distincts, tels que la survenue d’une catastrophe naturelle, d’une guerre ou d’une crise économique. Bien que ces événements soient distincts les uns des autres, ils comportent des caractéristiques qui les rangent dans la catégorie des CSD. En effet, afin d’être considéré comme un CSD, l’évènement doit être soudain et rapide. Il doit aussi modifier la gouvernance et les institutions, ainsi que les comportements et les habitudes de vie de la population. Un CSD représente également une menace au soi, c’est-à-dire à notre propre compréhension de nous-même et des autres.
La pandémie a sans aucun doute chamboulé l’ensemble de notre société et est donc considérée comme un CSD. Dès le commencement de la pandémie, mon équipe et moi avons entrepris un projet de recherche intitulé « COVID-19 Canada : La fin du monde tel qu’on le connaît ? ». Nous avons sondé plus de 3500 Canadiens et Canadiennes de 18 ans et plus. L’échantillon de notre étude était représentatif de la population canadienne, notamment en ce qui concerne le genre, d’âge et de la région. À 12 reprises durant la pandémie, nous avons pris le pouls de la population à l’aide d’un questionnaire approfondi. Nos questions portaient sur trois grands thèmes : le respect des mesures sanitaires, le bien-être de la population et la cohésion sociale.
En considérant la pandémie sous l’angle du changement social dramatique, on peut se demander : qu’en est-il du retour à la normale? Est-ce vraiment possible?
Avec les membres de mon équipe de recherche, nous voulions répondre à des questions telles que : est-ce qu’au début de la crise de la COVID-19, les gens avaient l’impression que la société allait rapidement revenir à la normale ? Avec le temps, les gens sont-ils devenus plus pessimistes face au retour à la normale ? Est-ce que l’optimisme ou le pessimisme relativement à cette question sont associés à des indicateurs de bien-être ?
Résultats du sondage canadien
Les personnes sondées ont donc répondu à la question : « À votre avis, quand croyez-vous que notre société reviendra à la normale? ». Six choix de réponses s’offraient à eux : 1) dans quelques jours; 2) dans quelques semaines; 3) dans quelques mois; 4) dans un an; 5) dans plusieurs années; 6) jamais.
En avril 2020, au début de la pandémie, 22,8% de notre échantillon affirmaient qu’un retour à la normalité surviendrait dans plusieurs années ou bien jamais. Un an plus tard, en avril 2021, 50,5% affirmaient cela! En un an, la proportion de gens qui prévoyaient un retour à la normale seulement dans plusieurs années, ou même jamais, a plus que doublé. Cette érosion de l’optimisme n’est pas sans impacts sur la santé psychologique des citoyens. Nous avons pu faire des liens entre la santé psychologique des répondants et leur niveau d’optimisme à l’égard du retour à la normale.
À l’aide d’analyses statistiques sophistiquées, nous avons remarqué que les participant.e.s plus pessimistes par rapport au retour à la normale rapportaient des niveaux d’anxiété et de colère significativement plus élevés que les participant.e.s plus optimistes. Les individus plus pessimistes face au retour à la normale rapportaient également des niveaux moins élevés de joie et ils estimaient vivre une vie moins satisfaisante.
Ce déclin de l’optimisme n’est pas très étonnant. On constate en effet une certaine fatigue pandémique au sein de la population. Les gens sont « tannés », épuisés et même en colère vis-à-vis la situation. Cette fatigue pandémique est tout à fait prévisible et compréhensible – la pandémie est très exigeante sur le plan psychologique.
D’un côté, l’humain a fondamentalement besoin de socialiser et d’être connecté aux autres, c’est donc exigeant d’être entièrement coupé de son cercle social, et de toute forme d’activité de socialisation. D’un autre côté, la pandémie exige continuellement de grandes adaptations pour notre société. Chaque nouvelle vague vient avec une série de nouvelles mesures à respecter, donc inévitablement, on doit s’adapter, modifier nos comportements et défaire nos plans, ce qui est extrêmement difficile psychologiquement !
Est-ce seulement les adultes qui sont touchés ?
La perte d’optimisme que l’on a observée dans nos résultats a également été remarquée dans une vaste enquête en santé publique, dirigée par la professeure Mélissa Généreux de l’Université de Sherbrooke, médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive.
Dans le cadre d’une enquête réalisée durant la pandémie, en janvier et février 2022, elle et son équipe ont sondé plus de 30 000 jeunes Québécois.e.s de 12 à 25 ans qui provenaient de différents milieux scolaires et régions du Québec. Ces jeunes ont répondu à des questions sur l’optimisme. L’étude conclut qu’en comparaison avec d’autres données de recherche de 2008, le niveau d'optimisme avait baissé dans le contexte pandémique actuel. Les jeunes Québécois.e.s semblent plus pessimistes face à leur avenir et s’attendent davantage à ce que de mauvaises choses leur arrivent.
Ces résultats sont préoccupants, puisque cette perte d’optimisme a été observée autant chez les adultes de notre enquête que chez les jeunes de l’enquête de la docteure Généreux.
Conclusion : Qu’est-ce que le retour à la normalité ?
Pour terminer, soyons optimistes ! L’Histoire nous l’a bien montré : le changement social dramatique permet aux sociétés d’évoluer.
En fait, aucune société n’est statique. Comme une rivière, qui parfois déborde avec les inondations, elle revient à un niveau stable une fois la crise passée. De plus, chaque crise entraîne des apprentissages sociaux à plusieurs niveaux. Pourrons-nous par exemple innover sur ces plans : organisation du travail; innovations scientifiques et technologiques; prise de conscience de l’importance de la santé mentale ? Nous pourrons peut-être aussi planifier une refonte de notre système de santé.
Comme Winston Churchill l’a si bien dit : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise » !
Références:
de la Sablonnière, R., French Bourgeois, L., & Najih, M. (2013). Dramatic Social Change: A Social Psychological Perspective. Journal of Social and Political Psychology, 1, 253–272.
de la Sablonnière, R. (2017). Toward a psychology of social change: A typology of social change. Front. Psychol. 8:397.
Généreux, M. (2022, 9 février). Enquête sur la santé psychologique des 12-25 ans. [conférencière invitée]. CIUSSS de l’Estrie-CHUS, Faculté de médecine et des sciences de la santé. Université de Sherbrooke.
Martin-Krumm, C., Tarquino, C., & Tarquino, C. (2020). L’optimisme et COVID-19 : une ressource pour soutenir les personnes en situation de confinement ? Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 178, 728-737.
Picard, È., Pelletier-Dumas, M., Dorfman, A., Lacourse, É., Lina, J. M., Stolle, D., Taylor, D. M., & de la Sablonnière, R. (2022). COVID-19 Canada : La fin du monde tel qu’on le connaît ? (Rapport de recherche No 8). Quand la société reviendra-t-elle à la normale ? Université de Montréal.
Trottier, C., Mageau, G., Trudel, P., & Halliwell, W. R. (2008). Validation de la version canadienne-française du Life Orientation Test-Revised [Validation of the Canadian-French version of Life Orientation Test-Revised]. Canadian Journal of Behavioural Science / Revue canadienne des sciences du comportement, 40, 238–243.
Citer cet article de blogue:
Picard, È., & de la Sablonnière, R. (2024). Individus et sociétés : regards scientifiques. (Article de blogue no. 3). Le retour à la normalité est-il possible ? Laboratoire sur les changements sociaux, l’adaptation et le bien-être et Projet InterCom. Université de Montréal.
Édition : Florence Jarry et Fabrice Viens Savoie
Mise en page : Frédérique Delisle et Florence Jarry