Article de blogue s'inspirant d'une chronique radio diffusée le 7 septembre 2022 par le Canal M à l’émission : « Aux Quotidiens »
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Le contexte de la pandémie et la contribution du Projet InterCom
La crise sanitaire liée à la COVID-19 a bouleversé le monde entier. Bien que l’impact se soit fait sentir partout, certains secteurs ont été touchés de façon plus importante, entraînant d'importants déséquilibres sociaux, économiques et psychologiques. Par exemple, c’était le cas du système de santé et de l’achalandage des hôpitaux qui a été exacerbé pendant cette période. La pandémie est donc considérée comme un changement social dramatique : un événement rapide qui implique des modifications profondes dans notre manière de vivre et de penser. Des exemples de ces changements sont la fermeture des écoles, les hôpitaux en surcharge et le changement drastique des habitudes, telles que le télétravail ou le port du masque en public (de la Sablonnière, 2017).
Il existe un consensus scientifique, à l’échelle internationale, indiquant que la pandémie a eu des conséquences importantes, surtout pour les populations les plus vulnérables, ainsi que pour les jeunes. Les jeunes se retrouvant déjà dans une période de vie remplie de transitions importantes (p. ex. au niveau identitaire, des rôles sociaux et responsabilités), les stresseurs additionnels engendrés par la pandémie ont pu contribuer à une perte de points de repère pour cette tranche de la population (Arnett, 2007).
Pendant la pandémie, au moment de chercher de l’aide, il était encore plus difficile de trouver le soutien de professionnel.le.s de la santé mentale. Ce problème d’accessibilité était présent bien avant la pandémie, mais celle-ci est venue exacerber les difficultés en santé, contribuant à engorger davantage les ressources. Par exemple, encore aujourd'hui, pour une simple consultation chez un.e psychologue dans le réseau public, il faut attendre entre 6 et 24 mois (CPRPQ : Coalition des psychologues du réseau public québécois, 2023).
Dans un contexte de ressources psychologiques limitées, nous présentons le Projet InterCom. Ce projet se veut une solution collective à un problème collectif, visant à complémenter les ressources existantes avant, pendant et après une crise.
Qu’est-ce que le Projet InterCom ?
Le Projet InterCom vise à augmenter la résilience et le bien-être psychologique des jeunes à la suite d’une crise sociale. En gros, il s'agit de fournir des outils pour améliorer la façon dont les individus et groupes composent avec et réagissent aux crises, de sorte à aller mieux individuellement et en tant que collectivités. Le Projet InterCom mise sur les interventions communautaires. C’est d’ailleurs de là que lui vient son nom : « Inter » pour intervention et « Com » pour communauté. Le terme « Projet » fait référence au fait que les interventions se font en co-construction avec les jeunes et plusieurs partenaires, tels que le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval, le Carrefour Jeunesse Emploi (CJE) Laval, le Regroupement des maisons des jeunes du Québec (RMJQ), le Service à la vie étudiante (SAE) et le Département de psychologie de l’Université de Montréal. Le Projet InterCom a été co-fondé par Roxane de la Sablonnière, professeure titulaire à l’Université de Montréal et Caroline Lebeau, directrice de la Tournée Édu4tive, un organisme qui vise à valoriser les différences individuelles et l'inclusion de la diversité (cognitive, physique, intellectuelle ainsi que la santé mentale).
Les interventions communautaires sont présentées sous forme d’ateliers interactifs et de conférences qui se fondent sur la recherche en psychologie sociale et les méthodes d’intervention clinique basées sur la psychologie positive et les thérapies cognitivo-comportementales de troisième vague. Nous avons un comité clinique dirigé par la psychologue France Landry.
La psychologie sociale s’intéresse aux pensées et aux comportements des individus en société, c’est-à-dire en relation avec autrui. La vulgarisation de données scientifiques en psychologie sociale permet aux participant.es de comparer leur expérience personnelle à celle des autres Canadien.ne.s ou des personnes de leur groupe. Ces comparaisons contribuent au renforcement de leur identité et à la normalisation de leur expérience de la crise, par exemple en constatant qu’elles et ils ne sont pas les seul.e.s à se sentir ainsi.
La psychologie positive est l’étude du fonctionnement optimal de l’être humain. Cette approche met l’accent sur les éléments positifs de l’expérience humaine, incluant les processus qui mènent à des conséquences désirables comme le bien-être, le sentiment d’appartenance et l'engagement auprès de sa communauté (Linley et coll., 2006). Nos interventions se concentrent donc sur ce qui peut être fait pour se sentir mieux en contextes de crises. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) de troisième vague intègrent des approches axées sur la pleine conscience et l'acceptation pour aider les individus à aborder leurs pensées et émotions de manière flexible, favorisant ainsi le bien-être global (Hayes, 2004).
Concrètement, le Projet InterCom propose une série d’ateliers intitulée « Changements sociaux : retrouver ses repères et s’engager pour mieux aller. » La série comprend six ateliers portant sur les thèmes suivants :
- Les changements sociaux et les valeurs
- L’(auto)compassion
- Le soutien social
- La cohésion sociale
- La communication bienveillante
- L’engagement
Comment se déroule un atelier du Projet InterCom ?
Les ateliers misent sur des activités dynamiques et participatives pour susciter la réflexion. Par exemple, nous invitons les participant.e.s à identifier une valeur importante pour elles et eux, puis on essaie d’imaginer à quoi ressemblerait le monde si cette valeur était plus présente ou totalement inexistante. Telle une boussole, une valeur nous guide et nous aide à emprunter le meilleur chemin lorsqu’on se sent perdu.e. Les périodes de grands changements peuvent parfois nous faire perdre nos repères et il devient alors important de nous interroger sur ce qui est important pour nous, pour notre société. Nous encourageons les participant.e.s à transformer davantage leur valeur en action concrète, afin de l’incarner le plus souvent possible. Nous les aidons à prendre conscience des actions qu’elles et ils posent déjà et à trouver des idées réalistes qu’elles et ils peuvent mettre en œuvre dès le lendemain.
Et la résilience collective dans tout cela ?
La résilience collective est l’aspect que valorise le Projet InterCom jusque dans son logo. Ce dernier est un pissenlit sur lequel le vent souffle et dont on voit les aigrettes s’envoler dans différentes directions, pour retomber quelque part sur le sol. Chaque pétale a ensuite l’opportunité de devenir un pissenlit qui va de nouveau voir ses pétales emportés à plusieurs endroits, et ainsi de suite. C’est ce que cherchent à créer les interventions du Projet InterCom. En nous engageant, personnellement et collectivement, nous développons notre résilience collective! Cette vision correspond à notre slogan qui a été trouvé en collaboration avec des jeunes qui nous ont aidés à bâtir le Projet InterCom : « S’engager pour mieux aller. »
Est-ce que le Projet InterCom est le seul projet de ce type ?
Le Projet InterCom s’inspire du succès de plusieurs projets communautaires, en lien avec d’autres changements sociaux dramatiques.
On peut penser aux Centres de confiance, qui ont été mis en place après l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986, où une contamination désastreuse a nécessité l'évacuation de près de 70 000 personnes en Ukraine. Comme le Projet InterCom, les Centres de confiance avaient pour mission le renforcement du lien social dans la communauté et le développement de plans d’action pour encourager l’engagement. Leur vision consistait à adopter une approche psychologique individuelle et communautaire pour offrir à toute la population des outils favorisant le bien-être (Neuilly, 2008).
On peut également penser à la tragédie qui s’est produite au Lac-Mégantic en 2013, lorsque le déraillement d’un train a causé des incendies, la destruction de bâtiments, une évacuation de la ville et malheureusement, de nombreux décès. Cet événement dramatique a eu de multiples conséquences, notamment psychosociales, chez cette population qui a dû se reconstruire après cette crise. Certaines personnes ont dû relocaliser leur famille, trouver un nouvel emploi, bref, reconstruire leur vie. La Dre Mélissa Généreux, à la tête de la Direction de la santé publique de l'Estrie, a donc organisé, en co-construction avec les acteur.trice.s locaux, un plan d’action pour venir en aide à la population. Une équipe de sensibilisation a été mise sur pied, dont le mandat consistait à renforcer la résilience et la capacité d’adaptation de la communauté du Lac-Mégantic. L’initiative a entre autres permis de renforcer le soutien social et le sentiment d’appartenance à la communauté au sein de la population.
La recherche menée par son équipe a démontré que le niveau de détresse rapporté par cette communauté a diminué grâce à cette initiative, comparativement à ce qu’il était quelques années après l’incident, alors que peu de ressources étaient disponibles. Bref, la recherche sur les interventions communautaires met en lumière l’importance d’avoir accès à des services adéquats pendant et après une telle crise, sans quoi la santé peut vite se dégrader (Généreux et coll., 2020).
Conclusion
Plusieurs interventions communautaires en psychologie sociale ont fait leurs preuves, au Québec et ailleurs dans le monde. Soulignons qu’en date d’aujourd’hui, le 24 mai 2024, le Projet InterCom a touché plus de 5200 personnes, autant des jeunes que des intervenant.e.s, grâce à plus de 200 ateliers et une cinquantaine de conférences offerts depuis décembre 2020.
Pour les prochaines années, le Projet InterCom a comme objectif de continuer à outiller les intervenant.e.s de divers milieux pour qu’elles et ils puissent offrir des ateliers de manière autonome et récurrente et de développer une communauté de pratique. De cette façon, nous visons l'expansion de l'implantation du Projet InterCom dans les milieux communautaires. En parallèle, nous procédons présentement à l'évaluation de l'efficacité de la série d'ateliers au moyen de diverses méthodologies quantitatives et qualitatives, et ce, avec l'objectif d'amélioration continue de l'intervention.
Plusieurs outils concrets sont également en processus de création. On parle ici de formations, de guides pour les intervenant.e.s, les animateur.trice.s et les participant.e.s, ainsi que de justifications théoriques.
Il y a toujours eu des crises, grandes ou petites. Elles peuvent prendre la forme d'une pandémie, d'une catastrophe naturelle, ou même d’une importante transition de vie. Nous souhaitons que le Projet InterCom devienne une référence en temps réel lorsqu’il y a des crises ou des bouleversements sociaux.
Si l’on s’outille de la bonne façon, il devient plus facile de traverser ces turbulences, ce qui nous permet d’aller mieux, plus vite, en nous engageant personnellement et collectivement!
Références
Arnett, J. J. (2007). Emerging adulthood: What is it, and what is it good for? Child Development Perspectives, 1(2), 68-73. https://doi.org/10.1111/j.1750-8606.2007.00016.x
Couturier, C. (2021, 13 février). Le trop difficile accès à un psychologue. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/societe/sante/594966/le-trop-difficile-acces-a-un-psychologue
CPRPQ : Coalition des psychologues du réseau public québécois (2023). Pour l'accessibilité aux services des psychologues dans le réseau public. https://www.coalitionpsy.org/
de la Sablonnière, R. (2017). Toward a Psychology of Social Change: A Typology of Social Change. Frontiers in psychology, 8, 397.
Gable, S.L., & Haidt, J. (2005). What (and Why) Is Positive Psychology ? Sage Journal. 9(2). 103-110. doi.org/10.1037/1089-2680.9.2.103
Gauthier, K. (2022, 8 mai). Presque impossible de se trouver un psychologue au Québec. TVA Nouvelles. https://www.tvanouvelles.ca/2022/05/08/presque-impossible-de-se-trouver-un-psychologue-au-quebec
Généreux, M., Roy, M., O'Sullivan, T., & Maltais, D. (2020). A Salutogenic Approach to Disaster Recovery: The Case of the Lac-Mégantic Rail Disaster. International journal of environmental research and public health, 17(5), 1463.
Hayes, S. C. (2004). Acceptance and Commitment Therapy and the New Behavior Therapies: Mindfulness, Acceptance, and Relationship. In S. C. Hayes, V. M. Follette, & M. M. Linehan (Eds.), Mindfulness and acceptance: Expanding the cognitive-behavioral tradition (pp. 1–29). The Guilford Press.
Linley, A., Joseph, S., Harrington, S., & Wood, A. (2006). Positive psychology: Past, present, and (possible) future, The Journal of Positive Psychology, 1(1), 3-16.
Neuilly, M. (2008). Chapitre 2. La mise en place de programmes psychosociaux dans le cadre de la réhabilitation post-accident nucléaire : étude de cas. Dans M. Neuilly (Ed.), Gestion et prévention de crise en situation post-catastrophe : prise en charge des traumatismes collectifs - nouvelles pratiques psychologiques et psychosociales (pp. 35-60). Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur.
Reis, N., Kowalski, K., Mosewich, A., & Ferguson, L. (2021, 11 janvier). Initiation à l’autocompassion dans le sport. SIRC. https://sirc.ca/fr/blogue/autocompassion-dans-le-sport/
Rémillard, D. (2020, 4 octobre). En pleine pandémie, l'attente pour voir un psychologue est de 6 à 24 mois. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1738617/temps-attente-psychologue-reseau-public-quebec-covid19
Édition et mise en page : Florence Jarry
Pour citer cet article de blogue:
Chabot, B., Morand-Grondin, D., Hanafi, L., Jarry, F., Guérard, R-M., Landry, F., Lebeau, C., & de la Sablonnière, R. (2024). Individus et sociétés : regards scientifiques. (Article de blogue no. 6). Le Projet InterCom : favoriser la résilience collective face à un changement social dramatique. Laboratoire sur les changements sociaux, l’adaptation et le bien-être et Projet InterCom. Université de Montréal.