Individus et sociétés : regards scientifiques

Par Roxane de la Sablonnière, Ph.D.
Professeure titulaire du département de psychologie de l'Université de Montréal
Directrice du laboratoire sur les changements sociaux, l'adaptation et le bien-être
Co-fondatrice du Projet InterCom


 

Une gifle en plein visage et la normalisation de la violence

Article de blogue s'inspirant d'une chronique radio diffusée le 8 avril 2022 par le Canal M à l’émission : « Aux Quotidiens ». 

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Qu’est-ce qu’une norme? 

Avant d’agir, comment faisons-nous pour déterminer si un comportement est adéquat ou s’il ne l’est pas? Devons-nous nous poser la question avant chaque geste ? Généralement, nos comportements sont régis par des normes. Toutefois, en quoi consiste réellement une norme ? Une norme est un code de vie, une règle à suivre qui varie pour chaque culture. Par exemple, la norme de la réciprocité implique que lorsqu’une personne parle, l’autre écoute. Si l’une des deux personnes ne laisse pas de place à l’autre, il y a un écart à la norme de réciprocité. 

Une norme, c’est comme une bulle qui inclut les comportements qui sont acceptés dans un contexte spécifique. La norme, c’est donc ce que la majorité des gens fait dans un contexte précis. Par exemple, il est attendu qu’un individu ne peut pas en frapper un autre s’il n’aime pas ce que ce dernier vient de dire. Or, dans un autre contexte, comme celui d’un combat de boxe, il est possible de frapper son adversaire au visage en public. 

Toutefois, même dans un combat de boxe, il existe une série de règlements, une norme, à laquelle les boxeur.euse.s doivent adhérer et se soumettre, sans quoi ils peuvent être disqualifié.e.s du combat. 

 

La violence peut-elle être normalisée ?

D’abord, posons-nous la question à savoir ce qu’est le principe de normalisation. La normalisation, c’est le mécanisme faisant en sorte que notre bulle (ou notre norme) s’élargirait pour y inclure des comportements qui habituellement représenteraient un écart à la norme. Sachant que la violence est généralement un comportement qui n’est pas accepté dans notre société, existerait-il une situation où celle-ci aurait été normalisée ? Après réflexion, on peut se demander si l’événement du 27 mars 2022, à la cérémonie des Oscars, ne serait pas une forme de normalisation de la violence. 

Rappelons d’abord les faits. Alors que Chris Rock était sur la scène pour remettre un prix, Will Smith était assis dans la salle pour sa nomination dans la catégorie du Meilleur acteur. Durant la soirée, Chris Rock a fait une mauvaise blague sur les cheveux de la femme de Will Smith, atteinte d’alopécie, une maladie qui provoque la chute des cheveux. C’est à ce moment que Will Smith s’est levé, est monté sur la scène et a frappé Chris Rock au visage, avant de retourner à son siège, pour ensuite l’injurier devant l’auditoire des Oscars. À la suite de ce geste, les personnes présentes ont toutes été stupéfaites et d’une certaine façon, tétanisées. Certains croyaient même que cet événement faisait partie de la cérémonie, d’autant plus que Will Smith est resté à la cérémonie et qu’il a même reçu la statuette du Meilleur acteur, un peu plus tard dans la soirée. Finalement, lors de son discours d’acceptation, que les auditeur.trice.s ont applaudi sans réserve, il s’est excusé, en larmes, en justifiant son comportement. 

Aucune action n’a été posée lors de la soirée pour démontrer que la gifle s’écartait de la norme. Et par le fait même, pour envoyer le signal clair que cet événement n’était pas normal. Non seulement l’acteur Will Smith n’a-t-il pas été expulsé de la salle, alors qu’il venait de commettre un geste de voie de fait, mais il a aussi été récompensé avec son Oscar. Il a profité de cette tribune pour tenter de normaliser son geste, en le justifiant par son amour pour sa femme et son désir de la défendre. 

Le fait que l’équipe de l’organisation de la cérémonie des Oscars n’aient pas réagi sans délai, soit en excluant Will Smith de la cérémonie ou en l’empêchant de recevoir sa statuette, ne signifie pas nécessairement qu’il y a une normalisation de la violence. Cependant, une réaction immédiate aurait été idéale. L’absence de réaction officielle a nourri l’ambiguïté. 

 

Conclusion : et ensuite ?

Avant de conclure à la normalisation de la violence, il faut surtout suivre ce qui sera fait par la suite : est-ce que ce comportement sera sanctionné ? En fait, nous avons appris que l’Académie des Oscars avait ouvert une enquête, suite à laquelle Will Smith a été banni de toutes cérémonies de l’Académie pour les dix prochaines années.  

De manière plus large, une réflexion a été lancée. On peut en effet penser que l’équipe d’organisation d’événements publics instaureront une marche à suivre, si un tel événement se présentait, afin de ne pas reproduire l’inaction de l’équipe de la cérémonie des Oscars. 

Sur le plan individuel, même Will Smith a abondé dans ce sens. Probablement sous la pression du public, de ses pairs, des réseaux sociaux et des médias, il s’est finalement excusé et a démissionné de l’Académie des Oscars.  

En conclusion, il faut comprendre qu’un écart à la norme met du temps avant de s’installer comme une nouvelle règle. Nous l’avons bien vu, ce geste qui nous a sidérés porte à une réflexion plus générale à propos de ce qui est acceptable ou pas. Un comportement déviant de la norme peut finir par être intégré dans notre bulle de normalisation, mais peut aussi en être rejeté avec encore plus de force. 

 


 

Références : 

Bicchieri, C. (2005). The grammar of society: The nature and dynamics of social norms. Cambridge University Press.  

Bicchieri, C., & Mercier H. (2014). Norms and Beliefs: How Change Occurs. Dans M. Xenitidou & B. Edmonds (Eds.). The Complexity of Social Norms (pp.37-54). Springer International Publishing. 

Cialdini, R. B., Kallgren, C. A., & Reno, R.R. (1991). A focus theory or normative conduct: a theorical refinement and reevaluation of the role of norms in human behavior, Advances in Experimental Social Psychology, 24, 201-234.   

Groguhé, M. (2022). L’Académie des Oscars condamne la gifle et ouvre une enquête. La Presse. https://www.lapresse.ca/cinema/2022-03-28/geste-violent-de-will-smith/l-academie-des-oscars-condamne-la-gifle-et-ouvre-une-enquete.php

Murraín, H. (2015). La légalité et la représentation de l’autre. L’influence des normes sociales dans le respect des lois. Droit et société, 91, 653-664.   

The Associated Press. (2022). Will Smith banned from the Oscars for 10 years over Chris Rock slap. CBC. https://www.cbc.ca/news/entertainment/will-smith-banned-oscars-slap-chris-rock-1.6413739  

Vaillant, C. (2022). Oscars 2022 : Will Smith gifle Chris rock après une blague sur sa femme. HUFFPOST. https://www.huffingtonpost.fr/entry/oscars-2022-will-smith-gifle-chris-rock-apres-une-blague-sur-sa-femme_fr_6241216ce4b0ccd4f521985c. 

 

Pour citer cet article de blogue:

de la Sablonnière, R. (2024). Individus et sociétés : regards scientifiques. (Article de blogue no. 4). Une gifle en plein visage et la normalisation de la violence. Laboratoire sur les changements sociaux, l’adaptation et le bien-être et Projet InterCom. Université de Montréal.

 

Édition : Florence Jarry et Fabrice Viens Savoie 

Mise en page : Frédérique Delisle et Florence Jarry 

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