Article de blogue s'inspirant d'une chronique radio diffusée le 25 février 2022 par le Canal M à l’émission : « Aux Quotidiens »
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L’importance d’étudier les crises passées
La pandémie de la COVID-19 peut être abordée en tant que changement social dramatique, tout comme d’autres types d’événements tels que les bouleversements climatiques, les conflits géopolitiques, les crises migratoires et la montée des extrêmes. En 2022, après deux ans de pandémie, alors que nous commencions à entrevoir un retour à la normale, nous assistions à une sixième vague de COVID-19, mais aussi à d’autres crises, ttelles que le mouvement de protestation à Ottawa contre l'obligation vaccinale, la guerre en Ukraine, ou même le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (le GIEC) qui avait fait état de l’urgence de prendre des mesures pour lutter contre la crise climatique. Plus récemment, en 2024, il est impossible de ne pas penser à l’urgence humanitaire à Gaza engendrée par le conflit entre Israël et le Hamas.
Ces événements peuvent tous contribuer à créer de l’incertitude et affecter la santé mentale des individus. Il est donc important de comprendre comment la population a vécu les crises précédentes et vit les crises actuelles, afin de mieux nous préparer aux crises futures.
Dans cet ordre d’idées, dès le commencement de la pandémie, notre équipe de recherche a entrepris un projet intitulé « COVID-19 Canada : La fin du monde tel qu’on le connaît ». Dans le cadre de cette étude, nous avons sondé plus de 3500 Canadien.ne.s âgé.e.s de 18 ans et plus. L’échantillon était représentatif de la population canadienne en termes de genre, d’âge et de répartition territoriale. À 12 reprises durant la pandémie, nous avons pris le pouls de la population sur une multitude de thématiques à l’aide d’un questionnaire détaillé. Nos questions traitaient de trois grands thèmes : le respect des mesures sanitaires, le bien-être de la population et la cohésion sociale.
En considérant la pandémie sous l’angle du bien-être de la population, nous nous sommes demandé : quel est l’impact d’une crise sociale sur l'anxiété ressentie par les individus ?
L’anxiété pendant la pandémie : les résultats de recherche
Nous avons donc demandé aux personnes sondées si la crise de la COVID-19 leur avait fait ressentir des émotions liées à l’anxiété (l’impuissance, la peur, la nervosité, la tristesse et l’inquiétude). Nous leur avons posé cette question à 11 reprises durant la première année de la pandémie. Leurs réponses nous ont permis de leur attribuer un score d’anxiété à chaque temps de mesure.
À l’aide d’analyses statistiques sophistiquées, nous avons séparé les personnes sondées en cinq groupes selon l’évolution de leur niveau d’anxiété tout au long de la pandémie. Par exemple, un groupe représentant 9% de l’échantillon rapportait de très hauts niveaux d’anxiété tout au long de la pandémie. Un autre groupe en rapportait très peu, et ce de manière stable à travers la première année de la crise.
En examinant la composition des différents groupes, nous avons remarqué des différences selon le genre, l’appartenance à une minorité visible, l’âge, et dans les cas où les gens avaient subi une perte d’emploi pendant la pandémie. Par exemple, les femmes rapportaient plus d’anxiété que les hommes, ceux qui avaient perdu leur emploi en rapportaient plus que ceux qui l’avaient conservé et les jeunes adultes rapportaient davantage d’anxiété que les plus vieux.
Nous nous sommes ensuite penchés sur les jeunes adultes, soit les 18-24 ans. Cette population a été particulièrement vulnérable pendant la pandémie en ce qui concerne les enjeux de santé mentale. En analysant nos données, nous avons remarqué deux choses à propos de l’échantillon de jeunes adultes. D’abord, les jeunes de 18-24 ans qui rapportent de hauts niveaux d’anxiété sont presque deux fois plus nombreux que les personnes de 25 ans et plus rapportant les mêmes niveaux élevés d’anxiété. Ensuite, environ 15% des jeunes que nous avons sondés rapportent une augmentation marquée de leur anxiété pendant la pandémie. En effet, ce groupe a d’abord affirmé ressentir peu d’anxiété en avril 2020, pour ensuite rapporter une augmentation à partir d’août 2020, puis un maintien de ces niveaux élevés d’anxiété.
D’autres recherches menées à l’échelle internationale ont rapporté des résultats similaires aux nôtres. Une étude a examiné l’impact de la pandémie sur la santé mentale dans 204 pays en 2020. Les résultats montrent une augmentation de 25,6% des troubles anxieux, particulièrement chez les jeunes (COVID-19 Mental Disorders Collaborators, 2021). Les pays les plus gravement touchés par la COVID-19, mesurés par la diminution des déplacements et l'augmentation des taux d'infection, ont connu les plus fortes augmentations de symptômes d'anxiété et de dépression. Les jeunes de ces pays ont également subi des perturbations scolaires et sociales majeures, exacerbant leur niveau d'anxiété et de dépression (COVID-19 Mental Disorders Collaborators, 2021).
Les différences de niveaux d’anxiété selon le genre, l’âge et d’autres caractéristiques révèlent la vulnérabilité plus grande de certains groupes. Nous ne sommes pas tous égaux devant un grand changement social comme celui produit par la pandémie.
Des pistes de solutions : des interventions collectives
Les études scientifiques démontrent que l’anxiété touche un grand nombre d’individus en pandémie, et particulièrement les jeunes. Dans ce contexte, afin que les initiatives de gestion des enjeux de santé mentale soient plus efficaces, nous devons miser sur des interventions de groupe, en plus de proposer à la population des solutions individuelles telles que les thérapies. Il existe plusieurs programmes de ce genre au Québec. Ils sont souvent axés sur la prévention des troubles anxieux et tentent du même coup de sensibiliser les participant.e.s à ces enjeux.
Relief, un organisme communautaire de Montréal propose notamment des ateliers sur plusieurs sujets, entre autres sur l’autogestion de l’anxiété. Les ateliers, dont le développement a été encadré par Dre Janie Houle sont offerts depuis 10 ans sur une base volontaire et s’adressent à tous et à toutes. Les ateliers se déroulent en petits groupes, ce qui permet non seulement de rejoindre plusieurs personnes en même temps, mais de miser sur la plus-value qu’offre l’esprit de groupe. En effet, ces interventions validées sont basées sur l’échange, l’entraide et le partage d’expérience (Houle et coll., 2016).
Comme nous l’avons souligné plus tôt, l’anxiété chez les jeunes est préoccupante. D’autres programmes au Québec ont été élaborés pour prévenir les troubles anxieux chez les enfants, les adolescent.e.s et les jeunes adultes. C’est le cas, par exemple, de HORS-PISTE, qui vise à prévenir les troubles anxieux en offrant des ateliers en milieu scolaire, de l’âge préscolaire à l’âge adulte, qui visent à donner aux élèves les moyens d’apprivoiser l’anxiété. Ces ateliers proposent des activités qui permettent de développer certaines compétences appelées « psychosociales », telles que composer avec ses émotions, apprendre à se connaître, s’affirmer face aux influences sociales. Encore une fois, l’aspect participatif est au cœur de ces ateliers de groupe.
Il existe plusieurs autres exemples d’interventions de ce genre, avec leurs particularités, qui ont en commun l’idée de promouvoir le bien-être de manière collective.
Conclusion : comment rester optimistes ?
Les résultats des recherches scientifiques démontrent que la pandémie a affecté la santé mentale d’un vaste éventail d'individus, en particulier l’anxiété chez les jeunes. Ces résultats aident à comprendre comment des crises sociales génèrent de l’anxiété dans la population. Les équipes de recherche ont à cœur de diffuser ce type de résultats. Elles dessinent un portrait de la situation, qui sera utile au moment de développer des programmes d’aide. Par exemple, en identifiant les groupes les plus vulnérables, il est possible de faire des recommandations quant à l’orientation des interventions qui devront être mises en place.
Même si les résultats de recherche peuvent parfois paraître décourageants, ils sont indispensables pour faire l’état de la situation. À la suite de ces constatations, des interventions de groupe riches et diversifiées ont été développées et continuent de l’être. Ces initiatives nous donnent de l’espoir et nous permettent de rester optimistes, afin de continuer à œuvrer au mieux-être de la population.
Références :
Centre RBC d'expertise universitaire en santé mentale. (n.d.). Programme hors-piste. Retrieved March 29, 2022, from https://sante-mentale-jeunesse.usherbrooke.ca/je-suis-un-professionnel/projets-de-developpement/hors-piste/
Climate change 2022: Impacts, adaptation and vulnerability. IPCC Intergovernmental Panel on Climate Change. (n.d.). Retrieved March 29, 2022, from https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/
Dorfman, A., Pelletier-Dumas, M., Lacourse, E., Lina, J. M., Stolle, D., Taylor, D.M, & de la Sablonnière, R. (2021). COVID-19 Canada : La fin du monde tel qu’on le connaît ? (Rapport de recherche N° 7). Comment nous sentons-nous ? Suivi des expériences émotionnelles négatives des Canadien(ne)s pendant la pandémie de COVID-19. Université de Montréal.
Houle, J., Gauvin, G., Collard, B., Meunier, S., Frasure-Smith, N., Lespérance, F., ... & Lambert, J. (2016). Empowering adults in recovery from depression: A community-based self-management group program. Canadian Journal of Community Mental Health, 35(2), 55-68.
Relief. (n.d.). Ateliers d'autogestion pour l'anxiété, la dépression et la bipolarité. Retrieved March 29, 2022, from https://monrelief.ca/relief-1/ateliers-autogestion
Santomauro, D. F., Mantilla Herrera, A. M., Shadid, J., Zheng, P., Ashbaugh, C., Pigott, D. M., Abbafati, C., Adolph, C., Amlag, J. O., Aravkin, A. Y., Bang-Jensen, B. L., Bertolacci, G. J., Bloom, S. S., Castellano, R., Castro, E., Chakrabarti, S., Chattopadhyay, J., Cogen, R. M., Collins, J. K., … Ferrari, A. J. (2021). Global prevalence and burden of depressive and anxiety disorders in 204 countries and territories in 2020 due to the COVID-19 pandemic. The Lancet, 398(10312), 1700https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)02143-7
Citer cet article de blogue:
Jarry, F., & de la Sablonnière, R. (2024). Individus et sociétés : regards scientifiques. (Article de blogue no. 8). L'impact d'un changement social dramatique sur la santé mentale : des pistes de solutions. Laboratoire sur les changements sociaux, l’adaptation et le bien-être et Projet InterCom. Université de Montréal.
Édition et mise en page: Florence Jarry