Individus et sociétés : regards scientifiques

Par Roxane de la Sablonnière, Ph.D.
Professeure titulaire du département de psychologie de l'Université de Montréal
Directrice du laboratoire sur les changements sociaux, l'adaptation et le bien-être
Co-fondatrice du Projet InterCom


 

Communiquer pour mieux fonctionner en société

Article de blogue s'inspirant d'une chronique radio diffusée le 11 août 2022 par le Canal M à l’émission « Aux Quotidiens »  

 

Partout dans le monde, des opinions divergentes et conflits émergent au sein des société et créé des divisions aux seins des groupes. Au début des années 2000, le Québec s’est retrouvé plongé dans le débat des accommodements raisonnables, relié à l’intégration des immigrants dans la société. Du côté des États-Unis, nous observons une polarisation sur le plan politique. D’un côté les Républicains et de l’autre les Démocrates. La division politique existe même au sein des familles, dont plusieurs membres éprouvent des difficultés à se parler.  

Dans des moments de crises et d’incertitudes, il est commun d’observer des divisions sociales. Nous pouvons penser, entre autres, aux débats ayant émergés pendant la pandémie, à propos du port du masque ou du vaccin obligatoire. Des crises sociales comme la pandémie nous plongent dans de longues périodes d'incertitude. Celles-ci nous poussent à rechercher des repères et à nous rapprocher des gens qui pensent comme nous, au risque d'être moins ouverts et de nous isoler de ceux qui pensent différemment de nous.  

Lorsque nous sommes moins exposés à d'autres opinions, nous sommes plus à risque de développer une pensée plus extrême, ce qui peut parfois dégénérer en hostilité face à ceux qui ont des opinions différentes. Il semble souvent impossible de trouver comment deux personnes peuvent se côtoyer lorsque leurs opinions divergent au plus haut point.  

Devant ce type de défi collectif, il importe de trouver une solution collective, et ce, en travaillant ensemble et en réfléchissant à comment chaque personne peut faire pour mieux coopérer en société. Si nous souhaitons traverser constructivement les périodes de crise, l’harmonie commence souvent par l’écoute de l’autre. 

 

Pourquoi est-ce important d’écouter quelqu’un qui est si différent de moi ? 

Lors d’une discussion avec une personne ayant une opinion opposée à la nôtre, nous devons prendre en compte qu’il se peut qu’elle connaisse quelque chose que nous ne connaissions pas, une information qu’il nous serait utile de connaître et à laquelle nous n’avions pas pensé. Cette personne se pose peut-être des questions auxquelles nous pourrions nous aussi réfléchir avant de prendre une décision.  

Il faut également être disposé à accueillir cette nouvelle information. Il serait imprudent de présumer que nous connaissons la façon de penser d’une personne, avant de s’être intéressée à elle dans le but de bien saisir ses intentions. La réalité pourrait être bien différente lorsque nous prenons le temps d’écouter l’autre.  

En s’intéressant aux raisons profondes derrières les opinions divergentes de deux personnes, nous pourrions découvrir que l’une s’inquiète des répercussions à long terme du vaccin, tandis que l’autre est convaincue que le vaccin est la manière la plus efficace pour combattre le virus. Il devient alors possible d’identifier des similarités entre deux personnes aux positions bien opposées : les deux s’inquiètent pour leur santé. Écouter permet donc de comprendre la réalité de l’autre, et de prendre en considération les nuances. Tout n’est pas noir ou blanc, il y a souvent beaucoup de gris. 

Conséquemment, en s’écoutant mutuellement, nous pouvons cerner ce qui est important pour chacun et ensuite, lorsque c’est possible, trouver une solution qui peut répondre aux besoins de tous et toutes. Nous ne pouvons pas toujours trouver une solution qui plaira à tout le monde, ou qui rejoindra les valeurs de chacun. Un gouvernement peut décider par exemple de rendre le passeport vaccinal obligatoire pour protéger la population ou bien de retirer cette obligation.    

Lorsque nous prônons l’écoute, nous ne visons pas nécessairement à trouver à tout coup une solution qui fait consensus, mais plutôt à comprendre les préoccupations, les priorités et les besoins de l’autre. Il n’est pas nécessaire d’être en parfait accord pour comprendre l’autre ou pour faire preuve d’empathie. Il devient alors possible de développer une relation basée sur le respect plutôt que l’amertume ou la haine.

 

Les effets d’une bonne communication dans un contexte difficile 

La communauté scientifique a bien démontré comment la communication agit comme un outil pouvant aider à la cohésion sociale. En effet, les bienfaits d’une meilleure communication ont été testés scientifiquement, notamment dans le cadre du « Projet de communication publique », développé pour favoriser des discussions constructives sur des sujets qui divisent.  

Éloignons-nous un peu du contexte de la pandémie. Reportons-nous dix ans en arrière, dans un district scolaire plutôt religieux et conservateur du Tennessee. La chercheuse Adrienne Dessel souhaitait tester cette méthode d’intervention auprès d’un groupe d’enseignant.es d’écoles primaires. Elle voulait évaluer comment cette méthode pourrait influencer les pensées et comportements de ces enseignant.es à l’égard des élèves et des parents faisant partie de la communauté LGBTQ+.  

Elle a donc proposé donc à un groupe d’enseignant.es, tous hétérosexuel.les, des séances en compagnie de membres de la communauté LGBTQ+, sur une période de deux semaines. Durant ces séances, les enseignant.es ont été invité.es à participer à des groupes de discussion s’appuyant sur les principes de l’écoute, ayant pour but de réduire les stéréotypes négatifs concernant les personnes faisant partie d’une minorité sexuelle (Earnshaw et al., 2018). Un autre groupe d’enseignant.es n’a pas eu accès aux séances.  

Le projet a produit des résultats concluants : comparativement aux enseignant.es qui n’ont pas participé à l’intervention, les enseignant.es ayant participé aux séances ont rapporté avoir une attitude plus positive envers les personnes homosexuelles et étaient en mesure de mieux comprendre leur perspective, au point d’en venir à soutenir davantage les enjeux LGBTQ+ dans leur école (Earnshaw et al., 2018). 

Comme quoi apprendre à communiquer fonctionne vraiment ! 

 

Comment faire pour mieux communiquer concrètement au quotidien ? 

Voici quelques trucs pour communiquer avec quelqu’un qui ne pense pas comme nous:  

  1. Commencer une conversation avec l’intention d’écouter, tout simplement. Nous ne cherchons pas à convaincre, mais plutôt à écouter.  
  2. Poser des questions pour mieux comprendre. Voici quelques astuces pour poser de bonnes questions : 
    • Poser des questions ouvertes, plutôt que fermées; une question est fermée lorsque nous pouvons y répondre par oui ou non, tandis qu’une question ouverte demande une élaboration.  
    • Questionner sans moraliser (remplacer le jugement par la curiosité). 
    • Être véritablement curieux et tenter de comprendre. 
    • Essayer d’identifier ce qui est important pour l’autre (quel besoin ou quelle préoccupation la personne tente-t-elle d’exprimer ?) 
  3. Reformuler ce que vous avez compris. Résumez ce que vous avez compris de ce que l’autre vous a dit. Cela démontre du respect pour cette personne.  
  4. Demandez à l’autre si vous l’avez bien compris. Ceci offre la possibilité à l’autre de voir s’il s’est bien exprimé, si son message a été saisi comme il le souhaitait. 
  5. Tenter d’identifier ce qui est important pour l’autre. Quel est sa préoccupation, son besoin, sa priorité derrière ce qu’il dit ? Est-ce la santé? La liberté d’expression ? Le nombre d’hospitalisations ?  

En plus de réaliser que nous partageons des préoccupations communes, telles que notre santé, nous pouvons aussi être amenés à découvrir chez l’autre une profondeur de pensée plus complexe que ce à quoi nous nous attendions.

 

Conclusion 

Si nous désirons vivre ensemble et mieux nous relever de la pandémie, de même que nous préparer aux futures crises, nous devons apprendre à dialoguer et à coopérer avec les personnes qui pensent différemment de nous. 

C’est en écoutant les autres que nous pouvons nous intéresser à eux et les comprendre, apprendre d’eux et grandir. C’est ainsi que nous parviendrons à trouver les meilleures solutions aux enjeux auxquels nous devons faire face comme société. 

 


 

Références 

Baron, A. & Jacksteit, M. (2019) Public Conversations Project Dialogue. Civicus, accessed January 30. https://www.civicus.org/documents/toolkits/PGX_D_Public%20Conversations.pdf 

Bédard, L., Déziel, J. et Lamarche, L. (2017). Introduction à la psychologie sociale (4e éd.). Pearson ; Éditions du Renouveau Pédagogique Inc. 

Dessel, A. B. (2010). Effects of intergroup dialogue: Public school teachers and sexual orientation prejudice. Small Group Research, 41(5), 556-592. 

Earnshaw, V. A., Reisner, S. L., Menino, D. D., Poteat, V. P., Bogart, L. M., Barnes, T. N., et Schuster, M. A. (2018). Stigma-based bullying interventions: A systematic review. Developmental review, 48, 178-200. 

 

Citer cet article de blogue:  

Chabot, B., Danielewski, A., François, A., Rouillard, K., & de la Sablonnière, R. (2024). Individus et sociétés : regards scientifiques. (Article de blogue no. 12). Communiquer pour mieux fonctionner en société. Laboratoire sur les changements sociaux, l’adaptation et le bien-être et Projet InterCom. Université de Montréal. 

 

Édition et mise en page: Florence Jarry  

 

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